Personnage emblématique de l’histoire de la Guadeloupe, la Mulâtresse Solitude a historiquement existé mais on ne sait pas grand-chose de sa vie, comme pour ces femmes et ces hommes déportés en Amérique dans la cadre de la traite négrière. Leur état-civil n’est pas formellement établi (ne sont-ils pas des « biens meubles ?), leur vie, surtout quand ce sont des rebelles, n’est guère mentionnée dans les chroniques sauf pour y porter un regard de dénigrement. « Elle laissait éclater, dans toutes les occasions, sa haine et sa fureur » … « Solitude n’abandonna pas les rebelles et resta près d’eux, comme leur mauvais génie, pour les exciter aux plus grands forfaits » (in A. Lacour : « Histoire de la Guadeloupe » 1858)
Conçue dans la violence
Quelques points de biographie cependant : elle serait la fille d’une négresse bossale transportée des côtes de l’Afrique occidentale vers les Antilles, violée par un marin de l’équipage pendant le voyage sur le bateau. . . Elle naît en Guadeloupe vers 1772 à Carbet de Capesterre, vit jusqu’à l’âge de huit ans avec sa mère qui s’était enfuie de la plantation où elle avait été vendue comme esclave de jardin. Elle est élevée dans l’habitation. On ne connaît pas son identité exacte : elle se fait appeler Solitude. On la connaît comme la rebelle qui n’accepte pas l’état de servitude, et de violence qui est celle de la vie sur les plantations.
Napoléon rétablit l’esclavage
Arrive la Révolution française, les débats sur la Liberté, en particulier ceux relatifs à la traite transatlantique et à l’esclavage. Après des discussions longues, houleuses, passionnées les membres de la Convention finissent par proclamer, le 4 février 1794, l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises. La Guadeloupe a la chance de voir le décret appliqué car elle est sous administration française depuis qu’elle a été reprise aux Anglais par Victor Hugues alors que la Martinique ne connaîtra pas cette joie étant restée sous domination anglaise. Cet épisode de liberté ne durera pas ; en effet le 20 mai 1802, Bonaparte signe la loi rétablissant l’esclavage.
Solitude, le rendedz-vous avec l’ Histoire
Solitude a rejoint la communauté des « nèg-marron », elle se range aux côtés des insurgés pour combattre avec ceux qui s’opposent aux 4000 hommes de troupe dirigés par Richepanse envoyés par le premier Consul pour rétablir l’ordre, c’est-à-dire l’esclavage. La répression est terrible : déportations, pendaisons… elle voit mourir ses compagnons de lutte, Joseph Pélage, Palème, Jacquet et bien d’autres. Les troupes de Richepanse finissent par avoir le dessus. Louis Delgrès et ses compagnons se sont sacrifiés dans l’explosion du 28 mai 1802 à Matouba. Solitude a miraculeusement survécu. Elle est blessée, faite prisonnière, condamnée à mort. Parce qu’elle porte un enfant, on va sursoir à son exécution par pendaison jusqu’au 29 novembre au lendemain de son accouchement …
Solitude s’est engagée dans la lutte parce qu’elle n’accepte pas que l’enfant qu’elle porte connaisse la douleur de l’esclavage qu’elle vit. Elle est une figure emblématique de ces femmes solides, « poto-mitan » de nos sociétés caribéennes. Sœur des femmes qui, dans des moments de grande crise savent mobiliser, rassembler, dynamiser.
Depuis 1999, sa statue est érigée au carrefour de la Croix, sur le boulevard des Héros aux Abymes, en Guadeloupe.
Liliane Deriau-Reine (Afiavimag)